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À qui appartiennent les œuvres d’art ?

Le 4 novembre 2020, le Sénat français, suivant en cela le vote de l’Assemblée nationale, a approuvé à l’unanimité la restitution de vingt-sept objets au Sénégal et au Bénin. Il s’agit, dans le premier cas, du sabre, conservé au musée de l’Armée, d’El Hadj Oumar Tall, le fondateur de l’empire toucouleur (qui, à la fin du XVIIIe siècle avait prospéré surtout grâce à la traite), dans le second d’une série de statuettes conservées au musée du Quai-Branly Jacques Chirac, provenant des pillages auxquels s’étaient livrés les Français pendant la Seconde Guerre du Dahomey, en 1892, qui avait mis fin au royaume Fon de Benhanzin, incorporé à l’empire colonial.  Réparation tardive et amplement justifiée pour les uns, geste risquant d’ouvrir une boîte de Pandore, pour les autres, mettant dangereusement en cause la légitimité des collections des musées dans le monde entier. Quoi qu’il en soit, la décision s’inscrit dans un débat qui a commencé il y bien des années et qui concerne désormais tous les pays.

Qui ne se souvient des discussions récurrentes sur les butins de guerre russes ? Un des derniers épisodes tournait autour de la collection Baldin, du nom de cet officier russe qui avait emporté à la fin de la guerre 364 chefs-d’œuvre signés Durer, Rembrandt, Rubens, Manet, van Gogh, parmi d’autres, faisant partie des collections de la Kunsthalle Bremen et cachés dans un château de Brandebourg. Malgré les promesses faites dans les années 1990 par Boris Eltsine, cette collection restera au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Ce problème des butins de guerre a été étudié dès 1998 par une de mes anciennes élèves que les membres de la SEF connaissent bien, Francine-Dominique Liechtenhan, dans un livre qui fait autorité et vient de connaître une deuxième édition augmentée : Le Grand Pillage, du butin des nazis aux trophées des Soviétiques (Éditions Ouest-France, 2017). Quant à la question, Faut-il rendre des œuvres d’art à l’Afrique ?, elle a fait l’objet d’un livre d’Emmanuel Pierrat (Gallimard, 2019), que j’ai demandé à l’auteur de venir nous présenter dès que la situation sanitaire le permettra.

Ces indications rapides pour dire que le contexte dans lequel s’inscrit la problématique abordée par Pamella Guerdat est extrêmement vaste. Il ne s’agira pas de butin de guerre, ni de séquelles du colonialisme, mais de spoliation d’un marchand d’art juif, René Gimpel, décédé au camp de concentration de Neuengamme en 1945, et qui, à l’arrivée des Allemands à Paris, avait été obligé de brader sa collection pour financer le départ de sa famille pour Londres. Ignorant pendant des années l’injustice subie par René Gimpel, ce n’est qu’en 2011 que sa petite-fille commence à demander réparation et essaie, entre autres, de récupérer les quatre tableaux de Derain que possédait son grand-père. Si elle obtient gain de cause auprès de Sotheby’s pour une des toiles, elle est en revanche déboutée en août 2019 par le Tribunal correctionnel de Paris pour les trois autres toiles que détiennent les musées de Troyes et de Marseille, au motif que l’identification des œuvres n’est pas absolument certaine. La bataille juridique continuera donc.

C’est là un exemple parmi beaucoup d’autres, qui nous fait entrevoir la complexité de ces problèmes. Mis à part les aspects financiers, que nous disent ces procédures sur notre rapport à l’œuvre d’art, sur le statut de celle-ci dans notre société, sur la définition de la propriété, sur le rôle des collectionneurs, des marchands, des musées ? Qu’est-ce que le patrimoine ? À qui appartient-il en fin de compte ? Des questions qui vont au cœur de notre civilisation.