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Les musiciens dans la Révolution, par Maryvonne de Saint Pulgent

« Il pourra paraître singulier à beaucoup de gens que l’on s’avise, en 1852, d’écrire en France une biographie de Méhul. Comment, dira-t-on, les Français sont-ils à ce point oublieux de leurs gloires nationales, qu’il faille déjà leur rappeler quel fut l’auteur d’Euphrosine, à quelle époque il vécut, le titre de ses œuvres et le style de ses compositions ? Heureusement non, nous n’oublions pas tout à fait si vite, et il y a certes très peu de personnes, parmi celles qui s’occupaient de musique il y a trente ans, à qui nous puissions dire là-dessus quelque chose de nouveau. Mais la génération actuelle, celle qui depuis dix ou quinze ans fréquente assidûment l’Opéra-Comique, qui s’est accoutumée aux allures de la muse moderne de Paris, muse dont on pourrait dire qu’elle a pour Pinde la butte Chaumont et pour Permesse la rivière de Bièvre, n’étaient les quelques œuvres aimables qu’elle a inspirées ; cette génération, ignorante du monde musical comme le souriceau de La Fontaine était ignorant de l’univers, qui prend, elle aussi, des taupinières pour les Alpes, a peur des coqs et se sent pleine de sympathie pour les chats, ne sait en conséquence que fort peu de choses sur Méhul. Sans les concerts même, où l’ouverture de la chasse du jeune Henriet le premier air de Josephont quelquefois été entendus, et dont les affiches lui sont tombées sous les yeux, c’est à peine si elle connaît de réputation ce grand maître »[1]. Comme de coutume, le talentueux polémiste qu’est Berlioz force un peu le trait dans ce passage des Soirées de l’orchestreoù il reprend un article qu’il a donné au Journal des débatsle 16 septembre 1851, à propos d’une reprise de Josephà l’Opéra Comique : cet évènement même prouve qu’Etienne-Henri Méhul et ses ouvrages sont encore au répertoire, et le souvenir du compositeur dont Wagner s’est dit le disciple sera encore assez vivace à la fin du dix-neuvième siècle pour que lui soit consacrée une copieuse — et pieuse — monographie[2].  Détail significatif cependant : l’ouvrage parait l’année du centenaire de la Révolution. Cet anniversaire fournit en effet aux dirigeants de la troisième République, qui est encore peu assurée de durer davantage que la kyrielle de régimes politiques qui l’ont précédée, l’occasion de ranimer le feu sacré républicain par le rappel des heures glorieuses et la légende dorée des héros qui ont fait et célébré 1789. Au premier rang de ceux-ci se tient le compositeur du Chant du Départ, « cet hymne magnifique et grandiose,… ce cri de guerre et de liberté, aux accents si mâles et si fiers, qui semble résumer en lui ce que l’antiquité nous a légué de plus noble et de plus admirable, et qui, ainsi que la Marseillaise, a fait le tour de l’Europe dans les plis du drapeau tricolore, excitant nos soldats qui combattaient pour l’indépendance et l’affranchissement de la patrie ! »[3]

L’ampleur de la mobilisation des arts au service du projet politique révolutionnaire est en 1889 mieux connue qu’aujourd’hui, où l’on se souvient surtout du rôle de Jacques-Louis David, chef de l’école française néo-classique en peinture et principal ordonnateur des fêtes civiques et des cérémonies de transfert des grands hommes au Panthéon. Cette mémoire sélective est sans doute due à l’engagement politique de David, qui se fait élire à la Convention, où il siège dans les rangs montagnards et vote la mort du Roi, puis entre au comité de sûreté générale et participe à ce titre à la Terreur, ce qui lui vaut un bref emprisonnement pendant la réaction thermidorienne, et enfin se rallie à Bonaparte dont il met en scène et peint le règne, notamment la cérémonie du sacre. Cet enrôlement trop visible au service du pouvoir impérial et sa qualité de régicide expliquent que la Restauration l’exile à Bruxelles, où il meurt en 1825. Cette sévérité a au contraire épargné les musiciens qui ont participé aux côtés de David à la conception et la mise en œuvre du rituel révolutionnaire, sans le suivre dans sa carrière politique : ils ont pour la plupart paisiblement continué d’occuper les places officielles qu’ils avaient conquises sous les régimes déchus. Pour autant, il ne faut pas mésestimer leur contribution à l’œuvre d’éducation civique par les arts entreprise par la Révolution.

La thématique des enjeux politiques de la musique est reprise à son compte par Bonaparte dans le message qu’il adresse en 1797 à la direction du Conservatoire : « De tous les Beaux-Arts, la musique est celui qui a le plus d’influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager. Un morceau de musique morale et fait de main de maître touche immanquablement le sentiment et a beaucoup plus d’influence qu’un bon ouvrage de morale qui convainc la raison sans influer sur nos habitudes »[4]. Ce texte éclaire les finalités du mécénat musical napoléonien, dont l’importance a été longtemps sous-estimée, mais il fait également transition entre la pensée des Lumières sur le rôle éducateur des spectacles et l’esthétique musicale romantique dont le chef de file sera Berlioz, au demeurant fervent admirateur de Napoléon. Le romantisme musical français a tiré de l’expérience révolutionnaire les principes essentiels de son idéologie — l’effet révélateur de la musique sur les passions, son message politique universaliste, l’héroïsation de l’artiste — ainsi que ses techniques de mise en condition du public — emploi des grandes masses chorales et orchestrales, instrumentation adaptée aux lieux très vastes et aux manifestations de plein air, usage de la stéréophonie.

Musiques de fête, de deuil et de guerre

Elever le peuple à la citoyenneté par des spectacles appropriés, tel est déjà le programme qu’en 1772, Rousseau propose au comte Wielhorski pour la régénération de la Pologne : « Beaucoup de jeux publics où la bonne mère patrie se plaise à voir jouer ses enfants. Qu’elle s’occupe d’eux souvent afin qu’ils s’occupent toujours d’elle. Il faut abolir, même à la Cour, à cause de l’exemple, les amusements ordinaires des cours, le jeu, les théâtres, Comédie, opéra, tout ce qui effémine les hommes, tout ce qui les distrait, les isole, leur fait oublier leur patrie et leur devoir, tout ce qui les fait trouver bien partout pourvu qu’ils s’amusent ; il faut inventer des jeux, des fêtes, des solennités, qui soient si propres à cette cour-là qu’on ne les retrouve dans aucune autre. »[5]Comme il l’a déjà fait dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Rousseau préconise donc la rupture avec les formes traditionnelles des divertissements publics, qui propagent le vice et non la vertu. Il récuse ainsi les thèses de Diderot sur l’école de civisme que peut constituer le théâtre, s’il est représenté dans certaines conditions : celles des spectacles publics de l’Antiquité, donnés dans des amphithéâtres qui pouvaient contenir jusqu’à 80 000 personnes, réunissant ainsi le peuple entier. Pour que les grandes leçons morales du théâtre prennent toute leur portée, il faut selon Diderot « fixer l’attention d’une nation entière dans ses jours solennels, occuper ses édifices les plus somptueux, et voir ces édifices environnés et remplis d’une multitude innombrable… Jugez de la force d’un grand concours de spectateurs, par ce que vous savez vous-même de l’action des hommes les uns sur les autres et de la communication des passions dans les émeutes populaires »[6].  La Révolution opte pour une synthèse de ces deux pensées antagonistes. Comme l’a rêvé Diderot, elle édifie des théâtres de plein air propres à rassembler des populations entières dans une même passion révolutionnaire, dont le premier est réalisé sur le Champ de Mars, pour la fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Comme le préconise Rousseau, elle crée un genre nouveau de fêtes permanentes pour occuper le peuple afin qu’il s’occupe d’elle. Le programme en est tracé dès 1791 par Talleyrand dans son Rapport sur l’instruction publiqueà la Constituante : les fêtes « auront pour objet direct les évènements anciens ou nouveaux, publics ou privés, les plus chers à un peuple libre ; pour accessoires, tous les symboles qui parlent de la liberté, et rappellent avec plus de force à cette égalité précieuse, dont l’oubli a produit tous les maux des Sociétés ; et pour moyens, ce que les beaux-arts, la musique, les spectacles, les combats, les prix réservés pour ces jours brillants, offriront dans chaque lieu de plus propres à rendre heureux et meilleurs les vieillards, par des souvenirs ; les jeunes gens, par des triomphes ; les enfants, par des espérances. »[7]. La fonction d’endoctrinement de la fête est affirmée sans ambiguïté : « Les institutions publiques doivent former la véritable éducation des peuples, mais cette éducation nationale ne peut être profitable qu’autant qu’elles seront environnées de cérémonies et de fêtes ou, plutôt, qu’elles ne seront elles-mêmes que des fêtes et des cérémonies. »[8]

Mais pour communiquer les passions révolutionnaires et ordonner les fêtes civiques à l’échelle souhaitée, la parole n’a pas assez de force d’entraînement : il y faut la musique, dès lors chargée d’une mission toute particulière qui suscite l’enthousiasme des compositeurs et favorise leur adhésion aux idées nouvelles. Ils y retrouvent en effet le statut de porte-parole du pouvoir qui était celui de leur art sous Louis XIV et qui a perdu beaucoup de sa réalité depuis la mort de ce monarque, dont les successeurs n’ont pas partagé la vision de la musique comme outil privilégié de propagande. Les vrais héritiers de la pensée louis-quatorzienne sur ce point sont donc les républicains des années 1790, qui enrôlent la musique au service de la défense du territoire et de la Nation, car elle « électrise la valeur des Français »[9]. Joseph-Marie Chénier signale ainsi à la Convention, le 8 novembre 1793, « l’effet heureux que produit la musique sur le caractère national ». Pas n’importe quelle musique cependant : celle du Chant du départet de la Marseillaise entonnés par les jeunes volontaires de la République lorsqu’ils se lèvent en masse pour défendre le territoire puis pour apporter la liberté aux peuples frères encore asservis, chants guerriers que l’on donne aussi chaque soir en ouverture des spectacles pour réchauffer la flamme patriotique à l’arrière ; mais aussi des chansons subversives comme le Ca ira  et la Carmagnolequi rythment les journées parisiennes où progresse la Révolution et rappellent à ses ennemis la vigilance populaire ; des hymnes patriotiques à la Raison ou à l’Être suprême composés spécialement pour les fêtes et chargés à l’inverse de produire du consensus ; des chants funèbres enfin, dédiés aux héros tombés pour la patrie ou aux grands hommes ayant mérité sa reconnaissance et les honneurs du Panthéon, et destinés à susciter la terreur sacrée du peuple et à faire couler ses larmes. Dans ce dernier registre, François-Joseph Gossec écrit dès 1790 un chef-d’œuvre, la Marche lugubre pour les honneurs funèbres rendus au Champ de la Fédération le 20 septembre aux mânes des citoyens morts à l’affaire de Nancy[10] : assemblés autour de l’autel de la Patrie où frémit la lueur de grandes torchères, les Parisiens sont frappés de stupeur à l’audition de l’ensemble instrumental inhabituel utilisé par Gossec, où la grosse caisse roulante de l’Opéra justement dénommée Le Tonnerreest flanquée de tambours voilés, de tam-tams et de l’harmonie, trompettes, cors, trombones, bassons et serpents, dont les accents déchirants sont ponctués de grands silences désolés. « Musique admirable » commente Madame de Genlis dans la relation célèbre qu’elle a laissée sur la translation du corps de Voltaire au Panthéon en 1791, où l’on rejoue la Marche lugubre : « Les silences faisaient frémir, c’était véritablement le silence de la tombe »[11].

De manière plus ambiguë, la musique révolutionnaire est également chargée de canaliser les pulsions populaires, qui après avoir été fort utiles pour renverser la monarchie, menacent l’ordre bourgeois qui lui a succédé : entre chaque bouffée d’émeute, l’harmonie musicale est convoquée pour conjurer la violence et rétablir la paix sociale. Les préconisations de ce type scandent ainsi le déroulement des dramatiques évènements lyonnais.  1791 : « Il sera établi sur la place des Terreaux et sur celle de la Fédération, un orchestre de musiciens pour inviter les citoyens à former des danses et à exprimer les sentiments doux et fraternels qui doivent désormais animer tous les Français »[12]. 1794 : « on chantera des hymnes patriotiques et tous les citoyens parés d’une branche d’olivier, symbole de l’union et de l’amitié, ouvriront au son des instruments une danse dans laquelle tous confondus, nous promettrons de bannir de nos cœurs toutes sortes de haines particulières »[13]1795 : « Indignés de l’élargissement des terroristes, les Lyonnais ont cru bon que le Réveil du Peuple ferait sur eux l’effet que l’eau bénite fait sur le diable. Depuis quelques jours nos salles de spectacles retentissent de ce chant exorciste contre ces satans »[14].

La musique révolutionnaire offre ainsi un double visage : belliqueux lorsqu’il est utile d’exciter les passions populaires, harmonieux lorsqu’il convient de les calmer. D’où l’intervention nécessaire des musiciens professionnels, seuls à même de choisir la musique appropriée aux circonstances et d’encadrer les cortèges le jour choisi pour la cérémonie, de manière à éviter les débordements et plus trivialement encore, à faire écran entre le peuple et ses dirigeants. Cette dernière fonction est essentielle : la société révolutionnaire a officiellement aboli les barrières de classe et cultive la mystique de l’unité nationale, mais les évènements la confrontent chaque jour à la dangerosité de la foule et à l’impérieuse nécessité de la contenir pendant les manifestations de masse dans l’espace public. Le rôle de contention qui leur est ainsi dévolu explique que les musiciens de la Révolution soient presque tous sous statut militaire ou para militaire : c’est en uniforme et avec tambours et trompettes qu’ils sont requis dans les célébrations, leur concours est obligatoire et ne pas répondre aux convocations peut les exposer au pire.

L’expérience apprend enfin aux révolutionnaires qu’ils n’ont pas le monopole de l’instrumentation politique de la musique et qu’elle peut être pratiquée avec la même efficacité par le camp adverse : à côté de la « bonne » musique qui propage les mots d’ordre de la représentation nationale, il y a la mauvaise, qui véhicule l’idéologie contre-révolutionnaire et doit donc être proscrite, ainsi que ses auteurs. Ces derniers ne sont au demeurant pas toujours responsables de l’usage qui est fait de leurs œuvres. Parmi les airs de ralliement royalistes, il y a ceux conçus à cet effet comme les chansons d’Ange Pitou[15]et ceux dont la signification d’origine a été détournée, comme la romance de Blondel dans l’opéra-comique de Grétry Richard Cœur de Lion[16]et le célèbre Réveil du Peuplede Pierre Gaveaux, chanson thermidorienne de dénonciation des robespierristes composée en 1795, devenue très vite une anti-Marseillaise que les bandes royalistes tentent d’imposer dans tous les lieux publics pendant les troubles du Directoire et dont l’exécution est par suite interdite en janvier 1796. Mieux vaut cependant prévenir que guérir : 1796 est donc l’époque où l’esthétique musicale révolutionnaire est théorisée. Outre un contrôle vétilleux de son contenu littéraire, l’hymne républicain subit une inspection musicale préalable à l’autorisation officielle dont il a besoin pour être exécuté et publié. Les principes à respecter sont énoncés dans plusieurs brochures parues sous le Directoire. L’avis aux poètes lyriques de Nicolas Framery affirme ainsi en 1796 que le « premier devoir » du « Poète du peuple » est d’être populaire « et de sacrifier, s’il le faut, à ce but sacré quelques beautés poétiques d’un ordre trop élevé », le « Musicien de la Révolution » devant pour sa part avoir l’ambition de « rouler avec elle vers les siècles », ce qui suppose que sa mélodie soit « simple, facile, à la portée des voix inexercées à qui tout art est inconnu » et qu’il se cantonne aux airs « dont l’élégante facilité paraît l’ouvrage de la seule nature, qui offrent ces refrains agréables et intéressants dont l’heureux retour les grave plus aisément dans la mémoire »[17]. En bref il faut faire simple et répétitif pour être efficace, et bannir le langage savant et les audaces qui détournent la musique nationale «  de sa mission sociale et politique, lors même qu’il serait démontré que ces innovations seraient favorables à l’art »[18].

Le rôle de Gossec

L’impulsion initiale n’est cependant pas venue des têtes pensantes de la Révolution, mais d’un militaire d’occasion tout de suite acquis aux idées nouvelles, Bernard Sarrette : le 13 juillet 1789, cet ancien commis à la comptabilité incorporé comme bas-officier dans les gardes françaises se présente au district des Filles-de-Saint-Thomas, dans le quartier de la Chaussée d’Antin, avec 150 soldats de différents régiments qu’il a ralliés à ce qui n’est encore qu’une émeute. « Il fut chargé à la suite du commandement de ces troupes auxquelles il fit faire le service des caisses publiques, c’est-à-dire de les protéger. On lui confia enfin le commandement des musiciens et des élèves du dépôt des gardes françaises réunis au district qu’il organise en musique de la garde nationale parisienne. »[19]. Ce même quartier abrite l’École Royale de chant dirigée par François-Joseph Gossec[20]. C’est donc à ce dernier que Sarrette fait appel quelques semaines plus tard pour prendre en charge la partie musicale de la messe de Requiem que réclament les districts parisiens « pour le repos de l’âme des citoyens qui ont perdu la vie dans la prise de la Bastille ». Gossec propose sa Messe des Morts de 1760, dont des extraits sont exécutés par les chanteurs de l’Opéra et la musique de la garde nationale dans les trois célébrations organisées dans les églises parisiennes en août 1789 « en l’honneur des citoyens victimes de leur zèle patriotique ». Le même mois, la garde nationale effectue sa première sortie parisienne scandée par les mâles accents de sa musique dirigée par Gossec et en septembre, le même fournit la symphonie militaire jouée lors de la bénédiction des drapeaux à Notre Dame. La Commune de Paris promeut alors simultanément Sarrette au grade de capitaine et Gossec à la fonction de professeur de musique de la garde nationale, ce qui comprend la composition des œuvres nécessaires au service. Dans ce cadre, il écrit la musique du Serment civique qu’il prête le 25 mars 1790, avec ses musiciens, à l’Hôtel de Ville de Paris. Dans la foulée, l’Assemblée nationale lui confie la partie musicale de la Fête de la Fédération instituée pour le premier anniversaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1790, où il collabore pour la première fois avec David et Joseph Marie Chénier.  Le second écrit les vingt-six strophes d’un hymne que Gossec met en musique, mais qui n’est en définitive utilisé que l’année suivante, pour la translation de Voltaire au Panthéon. Le premier signe la mise en scène théâtrale de la journée : celle-ci débute au petit jour par la concentration des cortèges sur la place de la Bastille, qui s’ébranlent vers le lieu de la cérémonie, un gigantesque amphithéâtre aménagé dans le Champ de Mars, en passant par la Porte Saint Martin, les Tuileries et le quai de Chaillot jusqu’au pont de bateaux édifié sur la Seine et ponctué sur l’autre rive par un arc de triomphe. Après la messe célébrée sur l’autel de la patrie par Talleyrand, en présence du Roi et de sa famille, La Fayette prononce le serment civique et le canon tonne, en prélude au Te Deumcomposé par Gossec et exécuté, sous sa direction, par un chœur de plusieurs milliers de voix soutenu par trois cents musiciens d’harmonie et trois cents tambours. L’œuvre fait grand effet : « les basses chantant à l’unisson produisaient un ensemble bien étoffé tandis que la masse des instruments à vent imitait les sonorités moelleuses de l’orgue. L’hymne inspiré du style liturgique se déroulait avec une puissante majesté. Au verset “Judex crederis esse venturus”, les larges accords des trombones soutenus par les roulements des tambours et les éclats de cymbales dominaient tout le chœur »[21]. Pourtant le choix d’un Te Deum ne fait pas l’unanimité, comme en témoignent des lettres publiées dans les journaux parisiens : « le Te Deum ! mais les tyrans l’ont fait chanter, mais on l’a chanté pour la  naissance de Charles IX, pour la naissance de Louis XIV ; on l’a chanté pour des crimes, on l’a chanté pour des puérilités ; et certes ce qui a été bon pour tout cela, je n’en veux point pour le 14 juillet », il faut donc opter pour un« langage nouveau » qui convienne à« un peuple régénéré… qui célèbre la conquête de la liberté »[22]. De fait ce Te Deum révolutionnaire est le dernier du genre et les Actions de grâce en latin et dans les vieilles formes religieuses cèdent la place, dès l’année suivante, aux hymnes en couplets français, que tout le monde peut comprendre : dès lors cependant, il faut s’assurer de la correction politique de leur message et n’en confier la versification qu’à des révolutionnaires convaincus, comme Chénier.

La réussite de la fête de la Fédération fait de Gossec le fournisseur attitré des musiques cérémonielles et par suite le principal collaborateur de David et Chénier dans l’organisation des pompes révolutionnaires. Pour la seule année 1791, le trio conçoit les deux translations au Panthéon de Mirabeau et de Voltaire, le premier anniversaire de la fête de la Fédération et la fête de la Constitution du 18 septembre, pour lesquels Gossec compose une Invocation, un Hymne à Voltaire, un Chœur patriotiqueet un Chant du 14 juillettous mis en vers par Chénier. La cérémonie consacrée à Voltaire est la plus impressionnante : elle mobilise près de 100 000 participants qui défilent derrière le char funèbre aux accents de la Marche lugubre, avec des stations devant ces lieux emblématiques que sont l’Opéra, le Théâtre français et la maison où il est mort, selon un ordonnancement inspiré de la pompe à l’antique. En 1792, les mêmes règlent l’ordonnancement de la Fête de la liberté en l’honneur des soldats du régiment de Châteauvieuxet ceux du 14 juillet et de la cérémonie du 26 août à la mémoire des insurgés morts pendant l’assaut des Tuileries, mais un autre poète que Chénier est requis pour la Fête patriotique en l’honneur de Simonneau(un maire assassiné lors d’une émeute en mars 1792). En 1793, le trio officie pour la « panthéonisation » du député régicide Le Peletier de Saint-Fargeau (assassiné à la veille de l’exécution de Louis XVI),  la Fête de la Réunion, la Fête de la prise de Toulon[23]et la Fête à la déesse Raison.  Cette dernière n’est cependant pas une franche réussite et son objet même — l’instauration du culte de la Raison à la place du culte catholique interdit — divise les conventionnels : en mai 1794 Robespierre fait voter une délibération par laquelle « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme ». Dans la foulée, est instituée la Fête de l’Être suprêmepour laquelle il faut un nouvel hymne, mais cette fois, Robespierre récuse la participation de Chénier, suspecté d’athéisme et de sympathies girondines[24]: Gossec trouve donc un autre versificateur pour son Hymne à l’Être suprême. La tâche est d’importance car la Convention a décrété que l’hymne serait chanté par le peuple, entraîné à cet effet par les musiciens professionnels. Ceux-ci sont donc dépêchés dans les salles d’assemblée des 48 sections parisiennes où ont été convoqués les habitants des quartiers correspondants, et leur apprennent une version simplifiée et raccourcie de l’hymne, dite « populaire », que Gossec a tiré de sa partition originale, pour grand chœur et grand orchestre. Au jour fixé pour la fête, 2500 chanteurs ainsi recrutés et formés dans les sections exécutent l’hymne après le discours que Robespierre prononce devant le château des Tuileries, puis le reprennent au Champ de Mars, devant la Convention assemblée. Les chroniqueurs voient dans cette célébration, répétée en moins grandiose dans les provinces, une réédition des fêtes antiques vantées par les encyclopédistes.

Le consensus populaire ainsi recherché ne réussit cependant pas à retarder la chute de Robespierre : quelques semaines seulement séparent la Fête de l’Être suprêmede la réaction thermidorienne, qui réinstalle Chénier dans sa position de premier poète de la Révolution et incarcère brièvement David. Gossec, pour sa part, n’est pas inquiété, mais il perd son monopole musical au moment même où les fêtes sont institutionnalisées : la loi du 7 mai 1794 en prescrit une tous les dix jours ! Désormais il doit partager l’affiche avec ses collègues professeurs à l’école de musique de Sarrette, que le Directoire érige le 3 août 1795 en conservatoire national[25].

La laborieuse création du conservatoire de musique

Depuis juillet 1789, Bernard Sarrette intrigue pour donner un statut à la musique de la garde nationale qui s’est spontanément constituée sous ses ordres. Selon les habitudes de l’ancien régime, les autorités de la Commune de Paris, dont dépend la garde nationale, lui en confient d’abord la responsabilité officielle, à charge pour lui d’en assumer les frais sur son traitement de capitaine de la garde. En mai 1790 la municipalité, reconnaissant que le corps de musique de Sarrette assure bénévolement le service des cérémonies parisiennes, accepte d’en assumer la charge financière et le logement : en contrepartie, elle le place sous son autorité directe et formalise sa mission, qui est de recruter et de former des musiciens pour les cérémonies. Poussant son avantage, Sarrette propose d’ériger sa compagnie en Ecole de musique militaire « qui fournirait des sujets à toute l’armée de ligne ». La pétition qu’il présente à cet effet en octobre 1791 est appuyée par la Chronique de Parisqui estime que « la musique de la garde nationale mérite d’être distinguée par l’influence qu’elle a eue dans la Révolution », en participant aux cérémonies publiques « et pour ainsi dire à tous les actes de la Révolution »[26]. En faisant droit à cette demande en juin 1792, la Commune de Paris limite toutefois la mission de la nouvelle école municipale à l’instruction musicale des jeunes instrumentistes destinés à servir dans la garde nationale, laquelle a été peu auparavant autorisée à recruter des volontaires pour la défense du territoire. Cette décision permet à Sarrette de rémunérer l’enseignement dispensé par les bonnes volontés jusqu’alors recrutées par Gossec dans l’équipe pédagogique de son école royale de chant, dont la situation est devenue précaire depuis que le Roi a cessé de la financer sur sa liste civile. Elle pallie également, au moins à Paris, le vide créé par la dispersion des écoles de musique maîtrisiennes, décidée par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 instituant la liberté du négoce et des métiers. Toutefois le statut militaire de l’École limite sa compétence aux instruments utilisés dans l’armée : cuivres, bois et percussions. Aussi la Chronique de Paris, qui continue de se faire la propagandiste de l’œuvre de Sarrette, plaide-t-elle en janvier 1793 pour que l’on crée sur le même modèle « des établissements où l’art du chant et des instruments à cordes puisse également se perfectionner ». Dans l’esprit de Sarrette cependant, c’est à son école d’assumer cette nouvelle tâche, ce qui suppose qu’elle quitte le giron municipal pour étendre ses compétences à la France entière. En novembre 1793, une députation de la Commune de Paris se rend dans ce but à la Convention, flanquée des musiciens de la garde nationale emmenés par Sarrette et Gossec. Après l’exécution d’une Marche guerrière, ce dernier lit à la tribune la pétition par laquelle « le corps de musique de la garde nationale parisienne, formé par la réunion des premiers artistes de l’Europe, dans le genre des instruments à vent, sollicite l’établissement d’un Institut national de musique dans lequel, sous les auspices de la République, ces mêmes artistes puissent accroître et perpétuer les connaissances que l’étude leur a fait acquérir. » Il s’agit, plaide Gossec, d’accorder aux arts la « protection nationale » : « Il doit s’anéantir enfin, cet engourdissement honteux, dans lequel ils furent plongés, par la lutte impuissante et sacrilège du despotisme contre la liberté… l’âme des Français, rendue à sa grandeur première, ne doit plus être amollie par les sons efféminés dans des salons ou dans des temples consacrés par l’Imposture… La divinité de la République est la liberté, son temple est l’univers : c’est sous la voûte céleste que doit se célébrer son culte. Nos places publiques seront désormais nos salles de concert… C’est dans le sein de cet Institut national que se formeront les artistes si nécessaires à l’exécution des fêtes nationales placées au centre de la République, trois ou quatre cents musiciens, distribués dans les fêtes qui y sont célébrées, y imprimeront le caractère et l’énergie. Ils se répandront successivement dans tous les points de la République ; les départements comme le point central, auront ainsi leur moyen d’exécution pour solenniser les époques mémorables de notre régénération »[27]. Vigoureusement appuyée par Chénier, la proposition est ovationnée par les représentants du peuple, qui entendent ensuite une symphonie militaire, un Hymne à la libertésur de nouveaux vers de l’inévitable Chénier, le ça iraetLa Carmagnole. Sur quoi tout le monde s’embrasse et la Convention décrète que « il sera formé dans la commune de Paris un Institut… composé de 115 musiciens. Sous le rapport d’éducation, il est employé à célébrer les Fêtes nationales ; sous le rapport d’enseignement, il est chargé de former les élèves dans toutes les parties de l’art musical ».

C’est alors que pour ouvrir les nouvelles classes autorisées par l’extension de sa mission, l’Institut national fait appel à deux compositeurs tenus jusque là à l’écart des commandes de musique cérémonielle en dépit de la réputation qu’ils ont acquise sur les scènes lyriques : Méhul[28]qui en 1792 a remporté un triomphe salle Favart avec Stratonice et Jean-François Le Sueur[29]qui s’est illustré salle Feydeau avec le mélodrame La Caverne(1793). Méhul fait ses débuts « révolutionnaires » en fournissant de la musique pour le nouveau culte de la Raison : un Hymnedonné le 30 novembre 1793 à l’Église Saint Roch et une ouverture pour l’inauguration du temple de la Raison à Notre Dame, le 10 décembre. Quelques mois après, la déesse Raison et l’athéisme étant devenus suspects, le Magasin de musiquecréé au début de 1794 par l’Institut national pour éditer et diffuser dans les départements la musique cérémonielle afin d’ « améliorer l’esprit public par la propagation des hymnes et des chants républicains et exciter par là le courage des défenseurs de la patrie »[30], publie la partition de Méhul sous le titre passe-partout d’Hymne patriotique. Destiné aux célébrations du cinquième anniversaire de la prise de la Bastille, le Chant du départest composé en juin 1794, au plus fort de la Terreur : Chénier qui en fournit les vers est alors caché chez Sarrette, par peur de la proscription robespierriste.

À la même époque l’équipe pédagogique de l’Institut national s’enrichit d’un autre compositeur de théâtre, déjà célèbre, mais promis à une immense carrière officielle sous la Restauration : Luigi Cherubini, italien installé en France à la fin du règne de Louis XVI et devenu directeur musical de la salle Feydeau à laquelle il a fourni son plus grand succès de l’année 1791, Lodoïska. En septembre 1794 il collabore avec Gossec à la mise en musique de la translation de Marat au Panthéon. L’Institut national a alors acquis une dimension très respectable, avec soixante classes d’instrument où dominent cependant encore les vents, mais Sarrette ne s’en satisfait pas : l’Institut n’est pas autorisé à accueillir des élèves de sexe féminin et dès lors il ne peut enseigner le chant, d’autant que l’École de chant ci-devant royale existe toujours sous la responsabilité de Gossec. Or l’automne 1794 voit naître plusieurs grandes écoles à l’initiative de la Convention : Polytechnique, Normale et le Conservatoire des arts et métiers notamment. Sarrette entame donc une nouvelle campagne de presse visant à donner à son Institut national le statut de Conservatoire de musique, sur le modèle des prestigieuses institutions italiennes, et à le doter du budget correspondant. Relayée par Chénier à la tribune de la Convention, cette revendication aboutit à la loi du 3 août 1795 portant établissement du Conservatoire de musique à Paris pour l’enseignement de cet art. Doté d’un directoire composé des quatre compositeurs déjà professeurs dans l’Institut national auxquels se joint André-Ernest-Modeste Grétry, le plus glorieux représentant du théâtre lyrique français[31], le Conservatoire[32]doté d’un budget désormais très confortable s’installe rue Bergère, dans l’ancien bâtiment des Menus naguère affecté à l’École de Chant, dont il absorbe les compétences, les élèves et les professeurs, portant ainsi sa capacité d’accueil à 600 sujets des deux sexes. La mission qui lui est assignée – il « garantit le maintien des théâtres lyriques en France » et  « assure aux armées les corps de musique qui lui sont nécessaires, et aux départements les moyens d’exécution pour la célébration des fêtes nationales »[33]- reflète sa double origine, civile et militaire, républicaine et « ci-devant ». Selon les régimes qui se succéderont au cours du dix-neuvième siècle, il mettra en exergue l’un ou l’autre de ces héritages afin d’échapper à l’épuration politique, sans toutefois y parvenir tout à fait[34].

L’impossible liberté des théâtres

À la veille de la Révolution, le système du privilège structure encore le paysage théâtral. Au sommet se trouvent l’Académie royale de musique[35]et la Comédie française qui détiennent l’un et l’autre un monopole sur le genre qu’ils exploitent et peuvent le monnayer auprès des théâtres parisiens secondaires ou des théâtres provinciaux. Premier bénéficiaire de ce système qui oblige les scènes ordinaires à payer une redevance au titulaire du privilège pour pouvoir exploiter un des genres dramatiques ou lyriques, l’Opéra en tire en 1789 plus du tiers de ses recettes[36], ce qui ne l’empêche pas d’être déficitaire et de puiser dans la cassette royale pour faire ses fins de mois. L’Opéra et la Comédie française dépendent de l’administration de la maison du Roi et plus précisément des Menus Plaisirs, ce qui les place sous l’autorité de l’Intendant des Menus Papillon de la Ferté et les oblige à donner des spectacles à la Cour, ce qu’ils font jusqu’en juillet 1789. Néanmoins ces institutions royales sont organisées en société : les acteurs qui ont la qualité de sociétaire disposent chacun d’un nombre de parts qui les intéressent aux recettes, mais les tiennent aussi aux dépenses, et la gestion courante est confiée à un semainier élu par ses camarades.

L’Opéra Comique ou Comédie italienne installé salle Favart depuis 1781 jouit lui aussi du statut de théâtre royal rattaché à l’administration des Menus et astreint au service des divertissements de la Cour, mais il paye redevance à l’Opéra pour pouvoir donner des pièces en musique entremêlées de chants et de dialogues parlés. Autre désavantage par rapport à ses deux aînées, la salle Favart doit partager son public avec une autre institution spécialisée dans l’opéra-comique, le Théâtre de Monsieur. Ce dernier a été créé en janvier 1789 par deux proches de la Reine, le coiffeur Léonard Autié et la modiste Louise Bertin, pour exploiter le répertoire bouffe italien abandonné par la Comédie italienne, mais il donne aussi des vaudevilles, des comédies et des opéras-comiques français et se consacre à ce dernier genre lorsque la Révolution chasse sa troupe italienne en 1792. Placée comme l’indique son nom sous la protection du frère du Roi, le Comte de Provence futur Louis XVIII, l’entreprise est dirigée par le violoniste et compositeur italien Viotti, lequel recrute pour l’assister son compatriote Luigi Cherubini. D’abord installés aux Tuileries grâce à leurs relations chez la Reine, les permissionnaires du Théâtre de Monsieur font ensuite construire un théâtre tout près de la salle Favart, le théâtre Feydeau, inauguré en 1791 et dont la troupe de Monsieur prend le nom lorsque leur protecteur émigre.

La Révolution s’invite dans les théâtres le 12 juillet 1789 : ce jour-là le registre de la salle Favart indique que « sur les cinq heures, la garde française posée, le départ de M. Necker, ministre, s’étant répandu dans Paris, le peuple, au nombre de quatre cents, est venu déchirer les affiches, en disant qu’il ne voulait point de spectacle dans Paris. Plusieurs particuliers entrèrent dans la salle, et prièrent très honnêtement ceux qui étaient dans les loges de sortir. En effet, tout le monde sortit et reprit son argent »[37]. Une heure plus tôt, l’Opéra a fait relâche dans les mêmes circonstances. Le lendemain 13 juillet, début du siège de la Bastille : « la ville fit afficher de ne point ouvrir les spectacles jusqu’à nouvel ordre. Relâche jusqu’au 21 juillet 1789, qu’il a été permis de r’ouvrir les spectacles ». Et la représentation du 21 juillet est donnée dans tous les théâtres parisiens au profit des pauvres « qui ont le plus souffert dans les circonstances actuelles ». C’est autant de manque à gagner pour les sociétaires, notamment pour ceux de l’Opéra Comique dont la situation financière est déjà précaire : ils ont contracté de lourds emprunts pour financer leur nouveau théâtre et la saison a été décevante en dépit d’un début d’année 1789 marqué par la création d’un ouvrage promis à quarante ans de succès, Les Deux Petits Savoyardsde Nicolas Dalayrac. Néanmoins deux des représentations de juillet sont encore données au profit des pauvres et le 6 août, le peuple s’invite à nouveau salle Favart, cette fois pour exiger qu’on enlève les banquettes du parterre et que celui-ci soit « remis debout à 24 sols », comme c’était le cas dans l’ancien théâtre. Ce prix modique rend le parterre accessible aux petits artisans et l’enlèvement des banquettes augmente la capacité d’accueil du théâtre, déjà proche de 2000 places. Le nouveau public populaire qui afflue à cette occasion est enthousiaste, mais très politisé et il contribue à installer à Favart un climat favorable au nouveau régime, tandis que les étages de loges perdent une bonne part de leurs abonnés riches et titrés, que les évènements révolutionnaires ruinent ou poussent à se terrer chez eux ou à émigrer. La perte de recettes qui en résulte oblige les sociétaires à des sacrifices financiers : à la fin de 1789, une dizaine d’entre eux quittent la société, les parts ainsi libérées étant affectées au remboursement partiel de la dette ; les 23 sociétaires restants licencient en outre quatre acteurs salariés et réduisent l’ensemble des traitements. Cette première purge qui sera suivie de plusieurs autres ne permet cependant pas de rétablir durablement les finances de l’Opéra Comique : tous les théâtres parisiens souffrent de l’agitation politique permanente qui s’installe jusqu’au Consulat et la liberté des spectacles qui est proclamée en 1791 n’arrange rien, bien au contraire.

La fin du système des théâtres privilégiés était à l’agenda des milieux réformistes depuis le milieu du siècle[38]. Les auteurs imputaient au système du privilège leurs difficultés à faire représenter des pièces nouvelles : non seulement tout nouveau théâtre devait obtenir la permission d’ouvrir moyennant redevance, mais encore leur fallait-il accepter de se cantonner aux genres mineurs, les autres étant réservés aux scènes royales. Le répertoire de tous les théâtres était en outre soumis à la censure royale, qui en contrôlait la conformité aux bonnes mœurs et à la morale publique et interdisait les ouvrages séditieux ou simplement équivoques, comme Le Mariage de Figarode Beaumarchais. Les évènements de l’été 1789 ne font d’ailleurs que compliquer les choses : à la censure exercée par l’administration royale s’ajoute alors celle de la Commune de Paris, encore plus suspicieuse et de surcroît fluctuante. Une première affaire éclate à l’automne 1789 lors de la création au Théâtre français de la tragédie de Marie-Joseph Chénier, Charles IX ou l’École des Rois, qui met en scène une Saint Barthélemy entièrement machinée par la Cour de France et la hiérarchie catholique : la pièce est interdite par le maire de Paris, mais Chénier reçoit le soutien de Mirabeau, Camille Desmoulins et surtout Danton, qui annonce que la pièce « tuera la royauté »comme « Figaro a tué la noblesse ». En août 1790 justement, Beaumarchais juge opportun de faire reprendre son opéra Tarare, dont le sujet — la rébellion d’un soldat vertueux contre un pouvoir injuste — est dans l’air du temps : cependant le vers « Le respect pour les rois est le premier devoir » suscite les applaudissements des loges, l’ire des patriotes et l’indignation des feuilles constitutionnelles, dont La Chronique de Paris de Condorcet qui souligne que « le respect pour les rois est sans doute un de nos devoirs, mais le premier de tous est celui des lois et de la constitution »[39].

Le texte par lequel l’Assemblée nationale décrète le 13 janvier 1791 la liberté de l’industrie théâtrale satisfait donc les milieux littéraires. La suppression des privilèges de l’Opéra et de la Comédie française qui en découle s’inscrit en outre dans le mouvement plus général de démantèlement des structures économiques de l’Ancien Régime au nom du libéralisme, qui s’inaugure dans la nuit du 4 août 1789 et se poursuit avec le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 instituant la liberté du négoce et des métiers et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdisant les associations professionnelles et les coalitions. Enfin le décret de 1791 fonde le droit d’auteur en prescrivant que les œuvres des auteurs vivants ne peuvent être jouées sans leur permission et qu’elles n’entrent dans le domaine public que cinq ans après leur mort. Sur le moment chacun s’enthousiasme et pense que « le théâtre affranchi va nous offrir, entre les auteurs et les acteurs, une lutte intéressante de civisme et de talent »[40]. Mais la prolifération des spectacles qui en résulte ne fait pas que des heureux : cette concurrence nouvelle annule pour les salles existantes le bénéfice résultant de l’abolition de la redevance annuelle due à l’Opéra ou à la Comédie française. Vingt-trois théâtres nouveaux se créent en quelques mois : « pour que tous ces théâtres pussent se soutenir, il faudrait dans Paris soixante mille personnes par jour au spectacle ; et jamais de mémoire d’homme on n’en a vu vingt mille ! Quelle frénésie ! Quelle extravagance ! », se lamente l’Almanach Général de tous les spectacles[41]. Et la Commune de Paris, désormais chargée d’autoriser les spectacles, reçoit près de quatre-vingts nouvelles candidatures. Certains de ses membres estiment que cette explosion de l’offre théâtrale « détourne une infinité d’artisans et d’ouvriers de leurs occupations journalières » et qu’elle est ainsi « nuisible aux bonnes mœurs »[42]. L’abolition de la censure ouvre par ailleurs un boulevard aux pièces séditieuses et l’agitation politique dans les théâtres devient alors permanente. Elle contribue d’abord à l’affaiblissement de l’autorité royale et à la subversion de la monarchie constitutionnelle à laquelle participe très vite la Commune de Paris : celle-ci ne réprime donc que très mollement les désordres tant que la République n’est pas proclamée. Tout change après le procès et l’exécution du Roi en janvier 1793 : la Convention s’emploie désormais à mettre les théâtres au service de son projet politique. En août 1793 George Couthon monte à la tribune et apostrophe les députés : « Vous outrageriez les républicains, si vous souffriez qu’on continuât de jouer en leur présence une infinité de pièces remplies d’allusions injurieuses à la liberté, et qui n’ont d’autre but que de dépraver l’esprit et les mœurs publiques, si même vous n’ordonniez qu’il ne sera représenté que des pièces dignes d’être entendues et applaudies par des républicains. Le comité, chargé spécialement d’éclairer et de former l’opinion, a pensé que les théâtres n’étaient point à négliger dans les circonstances actuelles. Ils ont trop souvent servi la tyrannie ; il faut qu’ils servent aussi la liberté ». Au nom de celle-ci, la Convention décide donc que « sur les théâtres indiqués par le ministère de l’Intérieur, seront représentées, trois fois par semaine, les tragédies républicaines telles que celles de Brutus, Guillaume Tell, Caïus Gracchus, et autres pièces dramatiques propres à entretenir les principes d’égalité et de liberté. Il sera donné, une fois la semaine, une de ces représentations aux frais de la République. Tout théâtre qui représentera des pièces contraires à l’esprit de la Révolution sera fermé et les directeurs arrêtés et punis selon la rigueur des lois. »[43]. La mesure se veut encore provisoire, mais le 5 septembre la Terreur est mise à l’ordre du jour et les interdictions pleuvent, y compris sur le répertoire classique qui a le tort de trop rappeler « d’anciennes erreurs » et de mettre en scène des marquis et non des patriotes : « Brûlons, s’il le faut, les chefs-d’œuvre des Molière et des Régnard » s’exclame un zélote, « les arts y perdront quelque chose, mais à coup sûr les mœurs y gagneront »[44]. En novembre le Comité de salut public ordonne que « tous les décadis, il serait chanté sur tous les théâtres l’hymne des Marseillais, et chaque fois que le peuple le demanderait ». Il convient aussi que les théâtres soient « une école de mœurs et de décence », et dans ce but il est recommandé « de mêler aux pièces patriotiques que l’on donne chaque jour des pièces où les vertus privées soient représentées dans tout leur éclat »[45]. Dans ce contexte, la critique théâtrale devient un métier à haut risque : « Le théâtre regorgeait d’espions, et il était dangereux de censurer une pièce révolutionnaire, si détestable qu’elle fût ; peu de gens avaient le courage de critiquer un auteur patronné par les surintendants de la guillotine et qui pouvait récompenser un commentaire sur sa poésie par la prose significative d’un mandat d’arrêt »[46].  En définitive la censure est officiellement rétablie le 16 juillet 1794 par un arrêté du Comité de salut public qui confie à une Commission de l’instruction publique « tout ce qui concerne la régénération de l’art dramatique et la police morale des spectacles, qui fait partie de l’éducation publique » et la charge « de l’examen des théâtres anciens, des pièces nouvelles, de leur admission »[47]. Thermidor n’y change rien : la thématique et le personnel jacobins sont désormais mis à l’index, mais la surveillance sur les théâtres ne se relâche pas. Le démantèlement du décret de 1791 est achevé par Napoléon : un décret impérial du 8 juin 1807 dresse une liste de huit théâtres parisiens consacrés chacun à un genre et ferme tous les autres[48]. La liberté théâtrale avait vécu et ne serait rétablie que par un autre empereur, Napoléon III.

Après la parenthèse libertaire ouverte par le décret 1791 et refermée deux ans plus tard, la Révolution reprend donc à son compte le projet de la monarchie bourbonienne : instrumenter le théâtre, et notamment la scène lyrique, à des fins de propagande politique.  Les Lumières avaient affranchi les auteurs de l’obligation de louanger le monarque tout en les conviant à une nouvelle mission, celle d’éduquer le peuple : celui-ci étant à son tour devenu le souverain, la louange est remise à l’ordre du jour et il n’est pas recommandé de s’y soustraire. Dans ce nouveau style imposé, les performances des trois principales scènes lyriques parisiennes sont cependant inégales. Elles n’ont d’ailleurs pas le même rapport aux évènements. Si l’Opéra Comique puise dans ses origines foraines et dans son public d’artisans et de bourgeois parisiens une sympathie naturelle pour les idées nouvelles, l’Opéra à qui les révolutionnaires reprochent son origine versaillaise, sa clientèle opulente et la tyrannie de son privilège, est suspect de sympathies pour les souverains et le régime déchus : lorsque l’administration des Menus transfère en avril 1790 sa gestion à la commune de Paris, Joseph-Marie Chénier qui commente l’évènement au club des Cordeliers fustige l’idée que le peuple parisien soit ainsi chargé de payer « les jouissances de l’aristocratie » et s’interroge sans aménité sur l’utilité de l’institution : « Dans un pays libre il faut des mœurs : est-ce à l’opéra qu’on devrait penser ? Sont-ce des ariettes et des pas de deux qui contribueront à former des citoyens ? »[49].  Dans les faits il faut attendre le Consulat pour que la politique occupe une place significative dans la programmation de l’Académie de musique, rebaptisée Théâtre des arts puis Théâtre de la République et des Arts après la chute de la monarchie : entre 1789 et 1799 l’Opéra ne crée que deux ou trois ouvrages nouveaux par an et se consacre de préférence aux tragédies lyriques de Gluck, Sacchini, Piccinni et  Salieri et à quelques ouvrages de Grétry antérieurs à la Révolution. Ses incursions dans la politique se bornent à quelques spectacles allégoriques de circonstance, dont L’Offrande à la Libertéde septembre 1792 où Gossec « scénarise » La Marseillaise[50]et à des« contributions patriotiques » imposées par la Commune de Paris à des auteurs suspects de modérantisme : parmi ceux-ci, Antoine Vincent Arnault, un des librettistes de Méhul qui broche avec lui, en dix-sept jours, un Horatius Coclèsflattant le goût des conventionnels pour les héros de la République romaine[51]. La couleur politique du Théâtre Feydeau est d’abord indécise : plus élitiste dans sa programmation que Favart et doté d’un orchestre de grande réputation qui donne des concerts symphoniques très courus, il est surtout fréquenté par les amateurs de bonne musique. Après Thermidor cependant, Feydeau se souvient qu’il est né sous le patronage de Marie-Antoinette, devient le rendez-vous des Muscadins et acquiert très vite la réputation d’un cercle royaliste. La seule scène lyrique parisienne franchement révolutionnaire est donc celle de Favart.

Dès 1790 et alors que rien ne l’y oblige encore, l’Opéra Comique met à l’affiche des œuvres de circonstances, comme Le Chêne patriotique ou la matinée du 14 juillet 1790(musique de Dalayrac) créé pour la fête de la Fédération, et des pièces politiquement engagées comme Les Rigueurs du Cloître(musique de Berton) : dans ce dernier ouvrage on voit une jeune religieuse se sauver de son couvent grâce à la garde nationale dirigée par son amant et tout finit par un hymne à la liberté gaillardement entonné par l’héroïque défroquée. Les années suivantes le flot des pièces patriotiques grossit : on donne à Favart Mirabeau aux Champs-Élysées, L’Ombre de Mirabeau, Lepelletier de Saint-Fargeau, Marat dans son souterrain, La Veuve du Républicain, Le cri de la Patrie, L’Intérieur d’un ménage républicain, La Prise de Toulon par les Français, La Discipline Républicaine, L’Enfance de Jean-Jacques Rousseau, Joseph Barra, Agricole Viala. Sous la contrainte cette fois, Favart épure aussi son répertoire des ouvrages présentant les anciennes élites sous un jour trop favorable, dont des valeurs sûres comme Le Roi et le fermierde Monsigny et Richard cœur de Lionde Grétry.

Le zèle républicain ne donne pas que de bons résultats artistiques. La collaboration des douze meilleurs compositeurs de l’époque, dont Méhul et Grétry, à la mise en musique du Congrès des Rois, créé en pleine Terreur le 26 février 1794, ne réussit pas à sauver l’ouvrage du ridicule où le plongent ses outrances propagandistes. Loin d’être galvanisé, le public siffle un livret jugé inepte et l’ouvrage est interdit deux semaines après par la Commune de Paris avec d’amusants attendus : le rapporteur commis pour étudier les causes du scandale « a vu un grand nombre d’aristocrates applaudir des scènes qui l’ont révolté. Il se plaint que l’infâme Cagliostro est décoré du titre sacré de patriote et présenté avec toutes les vertus du républicain, tandis que l’immortel Marat, cet illustre fondateur de la liberté, est exposé aux yeux de la malignité et passe comme une ombre chinoise derrière une toile transparente… Observez de plus que c’était faire injure au bon sens du peuple que de croire qu’on pût l’amuser avec de pareilles sottises. Des membres ajoutent qu’à cette pièce les aristocrates trouvent leur compte comme les patriotes. Leconseil en conséquence arrête que la pièce ne sera plus jouée, comme favorisant tous lespartis »[52].

Les incidents politiques sont fréquents à Favart et ils ont quelquefois des suites sérieuses. En 1792 la Reine et le Dauphin étant venus entendre la célèbre chanteuse Rosalie Dugazon[53], celle-ci se tourne soudain vers la loge de la souveraine et, mettant la main sur son cœur, la fixe en chantant « Ah ! combien j’aime ma maîtresse ! ». « Aussitôt » rapporte un témoin, « quelques Jacobins qui étaient dans la salle sautèrent sur le théâtre, et si les acteurs n’avaient caché Mme Dugazon, ils l’auraient certainement égorgée… »[54]. La cantatrice doit en tous cas quitter le théâtre et même Paris et on ne la revoit qu’en décembre 1794, après Thermidor. En octobre 1793, un ouvrage en trois actes, Urgande et Merlin, musique de Dalayrac et paroles de Monvel, les deux auteurs du Chêne patriotique, se fait taxer de frivolité dans un journal ultra jacobin, La feuille de salut public. Immédiatement l’auteur présente ses excuses dans la feuille accusatrice, en faisant valoir que la pièce incriminée date de 1788 : « Vous la croyez d’un genre trop insignifiant pour un temps de révolution ; je la supprime. La pièce devait être jouée aujourd’hui ; elle va disparaître de dessus l’affiche. Je ferais bien d’autres sacrifices à ma patrie ». Le journal imprime les excuses avec le commentaire suivant : « Nous admirons sincèrement la résignation civique du républicain Monvel. Elle doit servir d’exemple à tant d’auteurs éphémères à qui il en doit moins coûter, si l’on pouvoit mesurer leur amour-propre sur la nature de leur production »[55]. Comme l’explique en effet un censeur de l’époque, « ce n’est pas assez qu’un ouvrage ne soit pas contre nous, il faut qu’il soit pour nous »[56]. Au demeurant les convictions républicaines de l’Opéra Comique devenu « National » sont connues : rendant compte de sa saison en 1793, l’Almanach des Spectacles de Parisnote que « Ce théâtre, dont lesartistes sont du nombre de ceux qui ont su saisir plutôt l’esprit public et le sens de la révolution, a soigneusement écarté de son répertoire tout ce qui pouvoit choquer des oreilles républicaines : les pièces patriotiques ont été accueillies par lui avec le plus vif empressement. Aussi a-t-il joui d’un succès soutenu »[57]. Un succès qui ne l’enrichit cependant pas : l’augmentation des recettes du parterre ne compense pas la baisse du revenu des loges, le renouvellement civique du répertoire coûte cher et les dettes s’accumulent. De surcroît la troupe n’échappe pas complètement à la suspicion qui frappe le milieu théâtral : une vague d’arrestation s’abat sur les comédiens, les auteurs et les musiciens dès l’automne 1793 et Favart perd une de ses sociétaires, Mlle Burette, et un de ses compositeurs, Benjamin de La Borde, tous deux guillotinés en juin 1794.

La chute de Robespierre vide les prisons, mais ne ramène pas le calme dans les théâtres, où désormais s’affirme un parti contre-révolutionnaire, celui des Muscadins. Cette fois ce sont les robespierristes ou supposés tels qui sont sommés de rendre des comptes : à Favart le célèbre Trial, ténor comique léger qui a laissé son nom à cet emploi, est humilié en pleine représentation, forcé « de lire des vers contre les buveurs de sang humain » apportés par des spectateurs. Sa mort survenue en février 1795 est imputée au choc subi à cette occasion. D’autres agitateurs brisent le buste de Marat placé dans l’avant-scène puis vont en faire autant dans d’autres théâtres, après quoi la Convention ordonne l’enlèvement de tous les bustes restants pour éviter la propagation des désordres. Cependant le républicanisme de Favart étant à la fois sincère et plutôt modéré, la réaction thermidorienne l’arrange plutôt, notamment quand elle lui permet de remettre à l’affiche les ouvrages proscrits par la Montagne, comme Le Barbier de Sévillede Paisiello qui est repris à la satisfaction générale. En revanche le théâtre Feydeau son rival est devenu le quartier général des opposants au Directoire : la police le dit très chouaniséet rapporte qu’on y chante le Réveil du peuple, hymne royaliste interdit pourtant par un arrêté de janvier 1796, et qu’on y empêche l’exécution des « airs chéris des républicains »,La Marseillaise, le Chant du départ, le Ca iraet le Veillons au salut de l’Empire. Dès lors le ministre de la police ordonne au chef de l’armée de Paris Napoléon Bonaparte de ramener l’ordre dans ce théâtre[58], résultat qui n’est obtenu qu’au prix de sa fermeture pendant quelques mois.

Pour sa part Favart renonce autant que faire se peut à la politique et revient après Thermidor à des préoccupations essentiellement musicales, suivant en cela le désir du public, désormais fatigué de l’héroïsme théâtral : « Toutes les fois que nous mettons en scène des sujets patriotiques », se plaignent en 1799 les administrateurs de l’Opéra, « le public et les censeurs, les magistrats du peuple ainsi que les premières autorités, tous semblent fuir un lieu où, pour l’exemple du moins, ils devraient venir s’agglomérer. Chacun phrase dans les papiers ou à la tribune son patriotisme, mais personne ne hasarde trois francs pour le prouver »[59]. De fait le patriotisme de Favart n’a pas favorisé le rétablissement de ses finances toujours très obérées par la concurrence qui l’oppose à Feydeau et qui les mènera tous deux à la ruine, sous le Consulat. Pourtant chacune de ces deux scènes a contribué, pendant la tourmente révolutionnaire, à faire évoluer l’opéra-comique vers le romantisme, en inventant le genre du drame héroïque, ouvrage en trois actes et à grand orchestre dont l’ambition dramaturgique et musicale est manifeste, qu’il s’agisse de la Médéede Cherubini (1797), premier opéra-comique à dénouement tragique, des mélodrames Lodoïska(1791) et Les Deux Journéesdu même (1800) ou de La Cavernede Jean-François Lesueur (1793) dont les contemporains admirent fort la dernière scène « vraiment sanguinaire ; on tire une quarantaine de coups de feu et de si près qu’il semble réellement qu’on ait la tête fracassée. On a applaudi très fort »[60].

Notes

[1]Hector Berlioz, Les soirées de l’orchestre, deuxième épilogue,  Paris, 1852.

[2]Arthur Pougin, Méhul, sa vie, son génie, son caractère, Paris, 1889.

[3]Arthur Pougin, op  cit,  p107.

[4]Lettre du général Bonaparte aux inspecteurs du Conservatoire en date du 26 juillet 1797 (8 thermidor an V), citée in Danièle Pistone, La musique en France de la Révolution à 1900, Paris 1979, p15.

[5]Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de la Pologne, Genève, 1782.

[6]Denis Diderot, Second entretien sur Le Fils naturel, Œuvres, tome IV, Robert Laffont Bouquins, p 1157.

[7]Abbé de Talleyrand-Périgord, Rapport sur l’Instruction publique (1791), cité in Bruno Brévan, Les changements de la vie musicale parisienne sous le règne de Louis XVI et sous la Révolution (1774 1799), Paris, 1980, p229.

[8]Essai sur les fêtes nationalesadressé à la Convention nationale par Boissy d’Anglas, 12 messidor  an II (30 juin 1794), cité in Adélaïde de Place, La vie musicale en France au temps de la Révolution, Paris 1989,  p152.

[9]Selon un rapport de Méhul et Gossec à l’Institut de France de 1803. Les auteurs font remonter à 1792, date de l’invasion du territoire par les armées de Brunswick, cette « nouvelle direction » donnée à leur art, oubliant opportunément que dès Louis XIV et donc bien avant les victoires de Jemmapes et de Fleurus, on célébrait les triomphes des armes françaises sur la scène de l’opéra.

[10]A la suite de mesures disciplinaires, la garnison de Nancy se révolte contre ses officiers, le 31 août 1790, révélant ainsi le malaise de l’armée, encore commandée par des officiers issus des écoles militaires royales. Après de vifs débats, où les Jacobins prennent le parti des mutins contre celui de leurs chefs « aristocrates », l’Assemblée donne l’ordre au Marquis de Bouillé, commandant des forces armées de l’Est, de réprimer le mouvement. La répression est brutale et se traduit par plusieurs condamnations à mort et l’envoi aux galères de 21 Suisses du régiment de Châteauvieux. La cérémonie funèbre organisée par la Garde nationale parisienne rend hommage à leurs collègues de Nancy tués par les mutins. Par la suite, les Jacobins ayant pris le pouvoir, les rebelles exécutés ou déportés seront réhabilités dans une Fête de la liberté en l’honneur des soldats du régiment de Châteauvieux organisée le 15 avril 1792, dont Gossec composera également la musique.

[11]Madame de Genlis, Nouvelle méthode de harpe, Paris, 1805, p. 8.

[12]Affiche pour la fête de la Constitution, Lyon, 23 septembre 1791, cité in Orphée phrygien, op cit p. 96.

[13]Plantation d’un arbre de la liberté, Lyon, 4 septembre 1794, ibid, p. 97.

[14]Journal de Lyon, 24 septembre 1795. Le mot de « terroristes » désigne ici les robespierristes, emprisonnés lors des évènements de thermidor et libérés l’année suivante. Le Réveil du Peupleest un chant muscadin, qui devient rapidement un chant de ralliement des royalistes et est à ce titre interdit par le Directoire.

[15]Louis Ange Pitou est un ancien séminariste devenu chansonnier royaliste pendant la Révolution ; il interprète lui-même ses chansons sur le Pont Neuf et son succès est tel que la police n’ose pas l’interrompre de peur de provoquer une émeute ; accusé de comploter avec les royalistes, il est arrêté une première fois en mars 1793 et acquitté ; le Directoire le fait condamner à la déportation en octobre 1797, mais il est gracié sous le Consulat et pensionné sous la Restauration, après avoir publié ses Souvenirs en 1816. Mort en 1842, à 75 ans, son personnage est passé à la postérité grâce à un roman d’Alexandre Dumas (Ange Pitou, 1850) et à un opéra-comique de Charles Lecoq (La fille de Madame Angot, 1872).

[16]Cet air très populaire dès la création de l’ouvrage avant la Révolution se prête à la ré-interprétation tant par sa signification (il s’agit d’un serment d’allégeance d’un fidèle serviteur à son roi injustement emprisonné et abandonné de tous) que par ses paroles : le vers « oh Richard oh mon Roi » est remplacé par « oh Louis oh mon Roi », ce qui désigne successivement Louis XVI puis le Dauphin Louis XVII.

[17]Cité in Jean Mongrédien, La musique en France des Lumières au Romantisme (1789-1830),Paris, 1986, p. 40. Framery a composé plusieurs opéras-comiques avant la Révolution mais il est surtout critique et théoricien ; il enseigne au Conservatoire de musique à partir de 1795.

[18]Jean-Baptiste Leclerc, Essai sur la propagation de la musique en France et ses rapports avec le  gouvernement, Paris, 1796, ibid. Leclerc est un ancien conventionnel.

[19]Constant Pierre, Le conservatoire national de musique et de déclamation, Paris, 1900.

[20]Né dans un foyer paysan de Vergnies en janvier 1734 alors que le « vieux Bach » est encore actif et vient de terminer sa Messe en Si, François-Joseph Gossec meurt à Passy en février 1829, peu fortuné et presque oublié mais membre de l’Institut et de l’académie de Stockholm et décoré de plusieurs ordres européens, dont la légion d’honneur. Il manque donc de peu (vingt deux mois) la Symphonie fantastiquede Berlioz ainsi que sa deuxième révolution, son sixième monarque et son huitième changement de régime. Il a par contre vécu assez longtemps pour avoir vu rattacher aux Pays-Bas, par le traité de 1815, sa province natale du Hainaut qui était terre française depuis le traité des Pyrénées de 1649 et qui fait aujourd’hui partie de la Belgique (depuis 1830). Cette terre wallonne est musicalement féconde et a constamment fourni de grands compositeurs à la France, dont Henri du Mont qui au 17e siècle contribue à la naissance du grand motet versaillais, et deux proches de Gossec, Grétry, né à Liège et Méhul, né à Givet. Considéré comme le plus grand symphoniste français de son époque, Gossec est aussi l’un des principaux animateurs de l’entreprise musicale parisienne pendant les trente ans qui précèdent la Révolution : successeur de Rameau à la tête de l’orchestre du fermier général La Pouplinière,  il fonde en 1769, avec ses amis francs-maçons, le Concert des amateurs, qui en dépit de son nom est un orchestre professionnel qui vit exclusivement des abonnements souscrits à ses concerts, puis dirige la plus ancienne institution musicale privée d’Europe, le Concert Spirituelavant d’entrer dans l’équipe de direction de l’Opéra puis de fonder l’Ecole Royale de chant et de déclamation, en 1784.  Il fut appelé successivement le « Père de la symphonie française » et le « Tyrtée de la Révolution ».

[21]Cité in Claude Role, François-Joseph Gossec (1734-1829), Un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris, 2000, p163.

[22]Cité dans Constant Pierre, Les hymnes et chansons de la Révolution, Paris, 1904, pp 199 et 200.

[23]pour laquelle Gossec fait appel à son élève Charles Simon Catel, car son monopole musical suscite des protestations, comme celle rapportée par Constant Pierre qui stigmatise en février 1793 « les préférences [qui] blessent l’égalité et la liberté. C’est une autocratie digne de l’ancien régime qui étouffe le talent de ses frères. Le citoyen Gossec, homme libre, devrait savoir que les succès obtenus imposent l’obligation de se prêter à ceux de ses semblables ».

[24]la tragédie de Chénier Timoléon (1794), pièce « patriotique », est promptement interdite par le Comité de salut public et son texte brûlé en public devant son auteur, Robespierre ayant vu dans l’assassinat du comploteur Timophane une incitation au meurtre contre sa propre personne. Cet épisode vaut à Chénier, déjà compromis par les sympathies contre-révolutionnaires de son frère André, qui est guillotiné juste avant thermidor, une disgrâce opportune qui lui permet de retrouver toute son influence après la chute des Jacobins.

[25]Le décompte des musiques cérémonielles composées entre 1789 et 1799 confirme cependant la position prééminente de Gossec en la matière : il est l’auteur de 25 d’entre elles, suivi d’assez loin par son élève Catel (14 œuvres), puis par Méhul (11), Le Sueur et Cherubini (9 chacun). Chiffres cités in Jean Mongrédien, La musique en France des Lumières au Romantisme, op. cit. p. 44.

[26]Cité in Claude Role, François-Joseph Gossec, op. cit. p171.

[27]Archives du Conservatoire, citées in  Claude Role, François-Joseph Gossec, op. cit, p. 190.

[28]né en 1763 à Givet, dans une famille de petite bourgeoisie, et mort sous la Restauration en 1817, Etienne-Henri Méhul s’installe à Paris en 1779 et il est initié à la franc-maçonnerie en 1786. Virtuose de l’orgue, il devient également un maître du piano forte, instrument alors en plein essor pour lequel il compose en 1783 un premier livre de sonates, suivi d’un second en 1788. Il témoigne précocement d’un talent particulier pour se constituer des réseaux utiles à sa carrière. Après s’être introduit chez Gluck qui est alors occupé à créer ses grands tragédies lyriques pour l’Académie royale de musique et s’être concilié Gossec, « parrain »  de la musique parisienne sous le règne de Louis XVI, il s’insinue auprès de Joseph-Marie Chénier, poète officiel de la Révolution dont il fait un de ses librettistes attitrés : celui-ci lui fournit les textes du Chant du Départ (1794), du Chant des Victoires (1794) et du Chant du Retour (1797), de l’Hymne du IX thermidor(1795) et de l’Hymne des vingt-deux (1796, consacré à la mémoire des 22 chefs girondins guillotinés en 1793), et. Méhul écrit la musique de scène de sa tragédie Timoléon (1794) On connaît aussi à Méhul de puissantes amitiés politiques : le conventionnel Barrère qui lui sert de paratonnerre pendant un épisode périlleux avec la censure théâtrale sous la Terreur,le directeur La Révellière-Lépeaux qui lui permet de rebondir après Thermidor, Joséphine Bonaparte avec laquelle il parle fleurs, ce qui lui donne ses entrées à La Malmaison. Premier musicien membre de l’Institut de France lors de la fondation de celui-ci en 1795, il attire l’attention de son collègue de la classe des sciences du même Institut, Napoléon Bonaparte, qui en fait un des musiciens officiels du Consulat et de l’Empire. Pour le nouvel homme fort, aux exploits duquel il a consacré dès 1797 un acte patriotique truffé de coups de canon et de bruits d’artillerie, Le pont de Lody, Méhul compose l’un de ses chefs d’œuvre : le Chant national du 14 juillet 1800, scène lyrique pour solistes, trois chœurs et trois orchestres créée dans l’église Saint-Louis des Invalides alors rebaptisé Temple de Mars, dont les vers sont dunouveau poète officiel Louis-Marcelin de Fontanes, futur grand maître de l’Université. Le texte de Fontanes écorche quelque peu les oreilles républicaines, notamment lorsqu’il rapproche l’héroïsme du commandant en chef de l’armée d’Italie de celui de Condé et Turenne et évoque les « misères »de la France et sa prochaine « renaissance », mais l’unanimité se refait sur la musique grandiose de Méhul, qui ose pour la première fois les effets stéréophoniques dont Berlioz s’est par la suite inspiré dans son Requiem.

[29]Jean-François Le Sueur (1760-1837) fait sous l’ancien régime une carrière de maître de chapelle, notamment à Notre-Dame de Paris, et se rend célèbre par ses « drames sacrés » où il se pose en réformateur de la musique religieuse. Il attire ainsi l’attention de la reine Marie-Antoinette, mais la polémique qui en résulte lui coûte son poste, ce qui en fait un martyr aux yeux des milieux intellectuels d’avant-garde, dont Chénier qui lui dédie une ode. En 1793 il fait un retour fracassant avec le triomphe de son premier opéra-comique, La Caverne,qui lui vaut son recrutement parmi les fournisseurs de musique révolutionnaire. Remarqué par Napoléon, qui le nomme directeur de sa chapelle, confirmé dans ses fonctions par Louis XVIII et anobli par Charles X, ce qui en fait une des plus remarquables « girouettes » du milieu musical, il participe au renouveau du grand opéra avec Ossian ou Les Bardes (1804).La scène du Songe d’Ossian, première occurrence du fantastique dans l’opéra français, où les rêves du héros s’incarnent sur le théâtre, a eu une influence durable sur les Romantiques, dont Berlioz qui s’en inspire dans le songe de Faust de la Damnation de Faust.  C’est cependant en tant que professeur que ce hardi novateur brutalement périmé par le romantisme laisse un nom dans l’histoire musicale et exerce une véritable influence : Berlioz et Gounod, les plus illustres de ses élèves au Conservatoire, ont reconnu leur dette à son égard.

[30]Constant Pierre, Le Magasin de musique à l’usage des fêtes nationales et du Conservatoire, Paris, 1895, p23.

[31]Né en 1741 à Liège. Avec son premier librettiste attitré Marmontel, il a illustré le genre de l’opéra-comique bourgeois larmoyant, pour lequel il produit entre 1768 et 1775 une série de triomphes, inaugurés par Le Huron, suivi de Lucile(1769) qui fait passer en proverbe son fameux couplet Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille, puis Sylvain, L’ami de la maison, Zémire et Azor, La fausse magie. D’une fécondité inépuisable, Grétry fait travailler une demi-douzaine de librettistes dont d’Hèle et Chédeville qui lui fournissent respectivement Le jugement de Midaset La Caravane du Caire, Favart et surtout Sedaine, avec qui il écrit Richard Cœur de Lion(1784), son chef d’œuvre. Cet ouvrage qui crée le modèle de l’« opéra à sauvetage » auquel se rattache notamment le Fidelio de Beethoven et qui inaugure la vogue du moyen âge à l’opéra connaît une vogue immense et européenne. Sa popularité a même failli compromettre son auteur pendant la Révolution, sort injuste pour cet homme prudent dont l’ambition avouée est de « contenter à peu près tout le monde » : l’air O Richard O mon Roiest malencontreusement chanté en présence de la Reine lors du banquet des Suisses qui contribue à provoquer l’invasion de Versailles par le peuple parisien en 1789 et il sert de cri de ralliement aux royalistes pendant la décennie suivante, moyennant la substitution du prénom de Louis à celui de Richard. Cependant Grétry traverse la Terreur sans encombre grâce à quelques hymnes dont celui en l’honneur de Marat et de Le Pelletier (1793) et enchante le Directoire avec sa muse toujours aimable qui chante cette fois La Rosière Républicaineet Joseph Barra (1794), ce qui lui vaut une place dans le tout nouvel Institut de France, puis le Consulat avec un Eloge à Bonaparte : Le plus grand des héros(1801 : il en est récompensé par la légion d’honneur) avant d’en revenir sous l’Empire à ses thèmes de prédilection, la célébration des charmes de l’amitié, des joies de la famille et des vertus conjugales, y compris dans le ménage impérial (hymne Marie-Louise, impératrice-reine, à l’éternel : Toi qui formas le cœur des mères, 1812) et de terminer paisiblement sa carrière et sa vie en écrivant des romances dans l’Hermitage de Montmorency acheté en souvenir de Rousseau. Napoléon lui fait des funérailles officielles lors de sa mort en 1813.

[32]La loi du 3 août 1795 prévoit que le Conservatoire est dirigé par cinq inspecteurs de l’enseignement nommés par l’Institut national des sciences et arts alors en cours de création : fondé en octobre 1795 sous le nom d’Institut de France, il rétablit les anciennes académies, supprimées par la Convention en 1793. Les inspecteurs nommés quelques jours après sont Gossec, Méhul, Grétry, Le Sueur et Cherubini, les trois premiers étant également membres de la section « littérature et beaux-arts » de l’Institut. Sarrette n’est chargé que de la gestion administrative du Conservatoire, dont la direction est encore aujourd’hui réservée à des compositeurs.

[33]Constant Pierre, Le conservatoire national de musique et de déclamation, op. cit. p 132.

[34]Parmi les reproches que la Restauration fait au Conservatoire : ses liens avec la franc-maçonnerie – cinquante-sept des cent dix professeurs nommés en 1795 sont des affiliés, selon un décompte fait in Roger Cotte, La musique maçonnique et ses musiciens, Paris, 1975- ; l’arrêté du Comité de salut public du 26 avril 1794 (7 floréal an II) l’autorisant à se fournir en instruments dans les demeures des émigrés et condamnés à mort ; la constitution de sa bibliothèque, en octobre 1795, par des prélèvements opérés dans les collections royales et dans les biens confisqués aux suspects.

[35]A cette date l’Académie royale de musique ou Opéra joue dans la salle de la Porte Saint Martin construite par Lenoir pour remplacer la salle du Palais Royal attribuée à Molière puis à Lully et détruite par un incendie en juin 1781.

[36]En juin 1789 l’Opéra encaisse 23035 livres de recettes pour ses propres spectacles et 12744 livres de redevances versées par les seuls théâtres parisiens : à savoir l’Opéra Comique, le Théâtre de Monsieur, le Wauxhall, les Variétés, les Grands Danseurs, l’Ambigu Comique et le Théâtre des Beaujolais. Chiffres donnés par laChronique de Paris, 1er novembre 1789,p279.

[37]Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, de 1788 à 1801, d’après des documents inédits et les sources les plus authentiques, Paris, 1891, p22. Les autres citations de ce paragraphe sont tirées du même ouvrage.

[38]Notamment du fait de l’essai de d’Alembert publié en 1759, « De la liberté en musique », où il s’étonnait que  « que dans un siècle où tant de plumes se sont exercées sur la liberté du commerce, des mariages, de la presse, des toiles peintes, personne n’ait encore rien écrit sur la liberté de la musique. Mais les « grands politiques » répondent : « toutes les libertés se tiennent et sont également dangereuses. La liberté de la musique suppose celle de sentir, la liberté de sentir entraîne celle de penser, la liberté de penser, celle d’agir, et la liberté d’agir est la ruine des Etats. Conservons donc l’opéra tel qu’il est, si nous avons envie de conserver le royaume. ».

[39]Chronique de Paris, 6 août 1790, p871 Compte tenu du scandale et du refus de Beaumarchais de retoucher les passages litigieux de son livret, Tarare est retiré de l’affiche après 15 représentations. Il est repris en mai 1792 avec des compléments musicaux de Méhul, intercalés entre les airs originaux de Salieri.

[40]Chronique de Paris, 15 janvier 1791, p57.

[41]Almanach général de tous les spectacles de Paris et des provinces pour l’année 1791, Paris 1791, p341.

[42]Jacques Hérissay, La législation des spectacles pendant la Révolution, 1890-1800, Paris 1909, p16.

[43]Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, op. cit. p81.

[44]Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, Rapports des agents secrets du ministre de l’Intérieur, publiés par la Société d’histoire contemporaine, Paris, 1910, t. I, p69.

[45]Mandement du Comité de sûreté générale de la Convention aux directeurs des différents spectacles de Paris, 1er février 1794 (13 pluviôse an II), cité in Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, op. cit, p97.

[46]Témoignage étranger rapporté dans Un séjour en France de 1792 à 1795, Lettres d’un témoin de la Révolution française, traduites par H. Taine, Paris, 1872, pp238-239.

[47]Ibid., p96.

[48]Pour la province, le Règlement pour les théâtresdu 25 avril 1807 dresse le tableau desvilles autorisées àdisposer d’une troupe sédentaire ainsi que la liste de celles pouvant jouir de deux troupes : Lyon, Bordeaux, Marseille et Nantes, auxquelles s’ajoute Turin, alors rattachée au territoire français.

[49]Georges Jacques Danton, Extraits du registre des délibérations du district des Cordeliers, Le 29 avril 1790, pp 2 à 5.

[50]L’Offrande à la Liberté est sous-titrée Scène composée de l’air « Veillons au salut de l’Empire » et de la Marche des Marseillais, avec récitatifs, chœurs et accompagnement de grand orchestre, exécutée à l’Opéra, l’an I de la République, arrangée par le citoyen Gossec, directeur de la musique de la garde nationale parisienne. L’argument est de Gardel, maître des ballets de l’Opéra, qui règle également les évolutions dansées et les marches. Le sublime du spectacle, qui se situe dans un village français patriote et fait participer à l’action les chevaux du cirque Franconi, culmine à l’exécution du 4e couplet de la Marseillaise : la statue de la Liberté paraît environnée de l’encens que versent des « enfants des deux sexes vêtus de blanc » et pendant le point d’orgue avant la rentrée du chœur sur « aux armes citoyens ! », on sonne le tocsin, on bat la « générale » et on tire le canon d’alarme. L’ouvrage est un des plus grands succès de la période révolutionnaire et sert de modèle, pendant le premier empire, à la célébration des victoires de Napoléon sur la scène de l’Opéra.

[51]Arnault raconte dans ses Souvenirs d’un sexagénaireque la commande d’Horatius Coclès, créé à l’Opéra en février 1794, fut le tribut imposé par la Commune de Paris pour autoriser la représentation salle Favart, au mois de mai suivant, de l’opéra-comique Mélidore et Phrosine, apolitique et léger.

 [52]Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, op. cit. p108.

[53]Elève de Madame Favart qui a donné son nom à la tessiture qui était la sienne (mezzo léger) et aux types qu’elle a successivement incarnés : on parle de « jeune Dugazon » pour les rôles de soubrettes ingénues ou éveillées et de « mère Dugazon » pour les mères nobles.

[54]Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, op. cit., p64.

[55]Ibid., op. cit. pp 86 à 88.

[56]Propos rapportés par Arnault in Souvenirs d’un sexagénaire, op . cit. pp 68-74. L’ouvrage auquel ils s’appliquent estMélidore et Phrosine d’Arnoult et Méhul, créé à Favart en mai 1794, dont ni l’esprit, ni les mœurs, ne sont jugés républicains, car « le mot Liberté ! n’y est pas prononcé une seule fois ».  Arnoult s’exécute en demandant à un ami « politiquement correct », le futur académicien français Legouvé, une dizaine de vers supplémentaires sur la liberté.

[57]Arthur Pougin, L’Opéra-Comique pendant la Révolution, op. cit.  p92.

[58]Lettre de Merlin, ministre de la police générale, au général en chef de l’armée de l’intérieur, en date du 21 février 1796 (2 ventôse an IV). La fermeture de Feydeau est prescrite par arrêté directorial du 27 février suivant (8 ventôse), en même temps que celle de plusieurs clubs et sociétés royalistes.

[59]Lettre des administrateurs du Théâtre des Arts aux membres du Bureau central du Canton de Paris, Archives de l’Opéra, Registre AD 28.

[60]Jean Mongrédien, Jean-François Le Sueur, Berne, 1980, pp 264-265. Ce commentaire est fait lors d’une représentation de l’ouvrage à Vienne en 1803.